Dire que le canard frisé est attendu ne relève pas d'un
simple effet de style : c'est en effet un véritable comité
d'accueil avec fanfare qui l'accueille.
Incroyable ? Et pourtant...
Dès les premières apparitions du canard frisé dans
le ciel printanier, de véritables mélopées s'élèvent
de tous les coins du marais, une musique assez semblable à celle
que pourraient produire des flûtes de pan jaillit de milliers
de roseaux creusés à cet effet par le ver flûtiste.
Ces vers musiciens bouchent et débouchent en rythme, avec leur
tête plate, le roseau au sommet duquel ils se tiennent et dans
lequel le vent s'engouffre, chacun jouant une seule note et n'aspirant
qu'à se faire gober par le canard qu'ils auront séduit.
Car le canard frisé est mélomane, des observations ont
montré qu'il se permettait de faire la fine bouche lorsque la
musique jouée par un groupe de vers flûtistes se montrait
par trop désaccordée ou ringarde.
Les vers flûtistes pour leur part ont développé
une organisation très perfectionnée pour produire une
musique de qualité : roseaux creusés à diverses
hauteurs pour assurer une gamme de notes assez large, répétitions
forcenées dès les premiers jours du printemps avant l'apparition
des premiers canards, remplaçants prévus pour prendre
le relais des musiciens happés par les goulus visiteurs... tout
est fait pour que la qualité de la mélodie puisse être
maintenue plusieurs jours durant.
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La question se pose de savoir pourquoi le ver flûtiste
est ainsi traversé de pulsions suicidaires.
Les scientifiques se sont bien sûr longuement interrogés,
avant de découvrir que ce ver à tête plate
avait d'autres motivations pour agir ainsi que celle de servir
de reconstituant au canard frisé.
L'explication est à la fois simple et incroyable : les
oeufs que la femelle conserve dans son abdomen ne deviennent fertiles
que s'ils sont mis en contact avec une enzyme qui ne se trouve
que dans... l'estomac des canards frisés !
De fait, on ne trouve que des femelles au sommet des roseaux,
il est rare que leur espérance de vie dépasse six
mois.
Les mâles, eux, peuvent vivre plusieurs années et
constituent la mémoire musicale de l'espèce. Ce
sont eux qui élaborent de nouvelles mélodies chaque
saison et jouent les chefs d'orchestre pour entraîner les
femelles musiciennes.
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"Cette symbiose entre les deux espèces est stupéfiante",
précise le professeur Mortimer, de l'Institut d'éthologie
d'Athénapolis, "Sans l'énorme apport de protéines
que constituent les vers, les canards ne pourraient survivre à
l'épuisement de leur longue migration. Et sans les canards, l'espèce
des vers flûtistes ne pourrait assurer sa descendance. Les destins
des deux espèces sont ainsi intimement liés. Les
vers se sont attachés aux canards frisés car ce sont les
volatiles qui défèquent le plus souvent, rejetant ainsi
les oeufs des vers un peu partout dans la nature, multipliant les chances
de trouver un terrain favorable à l'éclosion. Les canards
eux appliquent une sorte de sélection naturelle en ignorant les
groupes de vers flûtistes qui jouent le moins bien : les vers
qui jouent le mieux sont en effet les mieux-portants et les plus nourrissants."
Forts de plusieurs campagnes d'observation, les observateurs ont noté
que de véritables modes musicales naissaient puis disparaissaient
en quelques années. Le professeur Mortimer et ses collègues
ont réalisé plusieurs enregistrements sonores saisissants,
ils n'excluent pas l'idée de commercialiser un jour un disque
où les musiciens seront des vers flûtistes à tête
plate...
En savoir plus :
Découvrez la musique des vers flûtistes en mp3, avec cet
extrait qui a été baptisé El
canard pasa.