Les dossiers de l'UNKA : le ver flûtiste.

Attica est assurément un continent qui nous réserve nombre de merveilleuses surprises.
L'étrange symbiose qui unit les destins du ver flûtiste et du canard frisé est ainsi l'une des plus fascinantes leçons d'histoire naturelle qu'il nous soit donnée d'observer.
Pour la mériter il nous faut aller dans une des régions les plus isolées d'Attica, une cuvette où les méandres et bras morts de la rivière Antineous forment une vaste zone marécageuse nommée Marais du Delph. Cette région n'est véritablement accessible que par voie fluviale et constitue un véritable sanctuaire pour animaux sauvages, en particulier pour les oiseaux, dont le fameux canard frisé à la houppe si caractéristique.
Ce palmipède est un grand migrateur qui, pendant l'hiver, va chercher refuge dans des régions fort éloignées et mal définies. Au printemps, il s'abat en hordes épuisées et affamées sur les Marais du Delph où l'attend un met de choix : le ver flûtiste.

Dire que le canard frisé est attendu ne relève pas d'un simple effet de style : c'est en effet un véritable comité d'accueil avec fanfare qui l'accueille.
Incroyable ? Et pourtant...
Dès les premières apparitions du canard frisé dans le ciel printanier, de véritables mélopées s'élèvent de tous les coins du marais, une musique assez semblable à celle que pourraient produire des flûtes de pan jaillit de milliers de roseaux creusés à cet effet par le ver flûtiste. Ces vers musiciens bouchent et débouchent en rythme, avec leur tête plate, le roseau au sommet duquel ils se tiennent et dans lequel le vent s'engouffre, chacun jouant une seule note et n'aspirant qu'à se faire gober par le canard qu'ils auront séduit.
Car le canard frisé est mélomane, des observations ont montré qu'il se permettait de faire la fine bouche lorsque la musique jouée par un groupe de vers flûtistes se montrait par trop désaccordée ou ringarde.
Les vers flûtistes pour leur part ont développé une organisation très perfectionnée pour produire une musique de qualité : roseaux creusés à diverses hauteurs pour assurer une gamme de notes assez large, répétitions forcenées dès les premiers jours du printemps avant l'apparition des premiers canards, remplaçants prévus pour prendre le relais des musiciens happés par les goulus visiteurs... tout est fait pour que la qualité de la mélodie puisse être maintenue plusieurs jours durant.

La question se pose de savoir pourquoi le ver flûtiste est ainsi traversé de pulsions suicidaires.
Les scientifiques se sont bien sûr longuement interrogés, avant de découvrir que ce ver à tête plate avait d'autres motivations pour agir ainsi que celle de servir de reconstituant au canard frisé.
L'explication est à la fois simple et incroyable : les oeufs que la femelle conserve dans son abdomen ne deviennent fertiles que s'ils sont mis en contact avec une enzyme qui ne se trouve que dans... l'estomac des canards frisés !
De fait, on ne trouve que des femelles au sommet des roseaux, il est rare que leur espérance de vie dépasse six mois.
Les mâles, eux, peuvent vivre plusieurs années et constituent la mémoire musicale de l'espèce. Ce sont eux qui élaborent de nouvelles mélodies chaque saison et jouent les chefs d'orchestre pour entraîner les femelles musiciennes.

"Cette symbiose entre les deux espèces est stupéfiante", précise le professeur Mortimer, de l'Institut d'éthologie d'Athénapolis, "Sans l'énorme apport de protéines que constituent les vers, les canards ne pourraient survivre à l'épuisement de leur longue migration. Et sans les canards, l'espèce des vers flûtistes ne pourrait assurer sa descendance. Les destins des deux espèces sont ainsi intimement liés. Les vers se sont attachés aux canards frisés car ce sont les volatiles qui défèquent le plus souvent, rejetant ainsi les oeufs des vers un peu partout dans la nature, multipliant les chances de trouver un terrain favorable à l'éclosion. Les canards eux appliquent une sorte de sélection naturelle en ignorant les groupes de vers flûtistes qui jouent le moins bien : les vers qui jouent le mieux sont en effet les mieux-portants et les plus nourrissants."

Forts de plusieurs campagnes d'observation, les observateurs ont noté que de véritables modes musicales naissaient puis disparaissaient en quelques années. Le professeur Mortimer et ses collègues ont réalisé plusieurs enregistrements sonores saisissants, ils n'excluent pas l'idée de commercialiser un jour un disque où les musiciens seront des vers flûtistes à tête plate...

En savoir plus :
Découvrez la musique des vers flûtistes en mp3, avec cet extrait qui a été baptisé El canard pasa.